dimanche 1 avril 2018

De Gokyo à Lukla...

Je fais part de ma décision à A.B., il me dit qu'on peut gravir le Gokyo Ri si je veux, c'est son métier on est là pour ça on partira demain comme prévu.
Sur la gauche, le Gokyo Ri (5357m)
"Non, il faut qu'on redescende, tu dois prendre des nouvelles de ta famille et les rejoindre. On doit pouvoir redescendre en deux ou trois jours à Lukla. Et puis regarde le Gokyo Ri est dans les nuages, on ne verra rien. On ne va pas monter juste pour monter. Et comme j'étais fatigué hier je ne suis pas sûr d'arriver en haut"
Derrière les nuages le Cho Oyu (8188m))
 "C'est comme tu veux".
Je fais quelques photos du paysage un peu plus dégagé qu'hier, dis au revoir au groupe de français et on s'en va vers 8h30.
Nous marchons en silence, comme d'habitude, mais avec un poids sur le cœur. Qu'est ce qui nous attend dans la vallée? Comment allons nous retrouver Kathmandou? Comment va la famille d'A.B.?
Le ciel est bas et gris. Nous passons devant une première maison dont la toiture est à moitié effondrée. 
On avait bien entendu une petite avalanche...

Elle est déserte mais un corbeau semble nous défier de son cri rauque. Il ne bouge pas. Ambiance de film sur le moyen âge. A Machhermo la plupart des maisons sont éventrées. Les murs en pierre sèche de 40-50 cm d'épaisseur n'ont pas supporté les secousses. Les toitures tiennent grâce aux fenêtres !
Machhermo
 Les boiseries ont encaissé les chocs. Devant les habitations des tentes de fortune ont été dressées, les habitant ne veulent plus rentrer chez eux. Sur le chemin de nombreuses pierres de toutes tailles ont déboulé de la montagne au dessus, des fissures dans la terre laissent présager de glissements de terrains à la prochaine saison des pluies m'indique A.B. 
Nous voulons manger à Luzla au même endroit que la veille, mais personne n'est là. Une simple fissure a marqué la bâtisse pourtant. Un homme devant la seconde auberge nous fait signe. Les propriétaires des deux auberges se sont réunis. Ils ont installé une table à l'extérieur et une bouilloire est sur le feu. Pas de cuisine. Personne ne rentre dans les bâtiments. Nous prenons deux thés noirs chacun et partageons un paquet de biscuits type "TUC".
Un peu plus loin une nouvelle grosse réplique fait trembler le sol. Celle-là est sérieuse, difficile de tenir sur ses jambes. Nous sommes à flanc de montagne et des murs de pierres menaçants se trouvent au dessus de nous. 
Une dame prie au sommet d'une colline
A.B. me dit de ne pas bouger mais l'énorme grondement d'un éboulis au dessus de nous me pousse à me cacher contre un gros rocher. Est-ce que ça suffira? Je ne sais pas mais je n'ai pas d'autre solution. 
Je dis à A.B de venir avec moi. Il est accroupi sur le chemin à guetter ce qui peut arriver d'au dessus. La secousse cesse et le grondement s'achève. Vraisemblablement l'effondrement a eu lieu sur l'autre versant de cette colline. Et les murs ont tenu le coup. On a eu chaud...
Dole aussi est bien touché. Au fur et à mesure de notre progression les nouvelles s'enchainent. A midi, la radio de l'aubergiste parlait de 723 morts, plus loin un guide nous parle d'un bilan de 1800 morts dans tout le Népal. Deux français me disent que Namche n'est pas trop atteinte. Ouf! Il faut dire que les habitations sont plus souvent scellées avec du ciment là-bas.

A.B. a eu des nouvelles de Phortse Tanga, apparemment nous pourrons y dormir.
humm la douce chaleur d'un poêle à bouse de yak
Le propriétaire n'est plus là, il est retourné en ville dans sa famille mais une dame est là pour nous faire à manger. Ca fait plusieurs jours que je ne me suis pas lavé, mes cheveux sont gras. Je me lave le corps avec un gant au lavabo à l'extérieur avec l'eau de la montagne. Le plus dur c'est pour la tête, j'ai l'impression qu'un étau me serre le crâne. Mais une fois séché et près du poêle je me sens bien mieux.
Cette nuit la porte qui donne à l'extérieur restera ouverte en cas d'évacuation. La voisine qui s'occupait de nous faire à manger est pressée et me sert le repas à 18h15. Une heure plus tard je suis au lit ! De petites répliques se font sentir. Vers 22h10 une plus grosse me pousse dehors où je retrouve A.B. Les trois autres touristes n'ont pas bougé. Dans la nuit j'entends quelqu'un dans le couloir et vois une lumière sur le chemin par la grande fenêtre de ma chambre. Dans le brouillard je vois un homme partir et A.B. qui semble revenir sur ce même chemin.  
Au petit matin un sifflement me sort de ma somnolence. Par la fenêtre je vois un superbe thar sur le chemin. Est-ce A.B. qui a sifflé pour me prévenir? Non, ce sifflement est celui de l'animal. C'est bizarre, ça ne colle pas avec la bête. Je profite de ce joli moment.
A.B. m'explique que l'homme cette nuit était un peu perdu, il recherchait sa femme qui est parti en lui laissant les enfants (ceux que j'ai pris en photo l'autre jour). Ca arrive me dit-il...

De nombreuses roches ont déboulé de la montagne
La veille je lui avais proposé de me laisser à Khumjung où je pourrais finir mon séjour dans la vallée et peut-être aider et que lui descende à Lukla le plus vite possible pour rentrer sur la capitale. Mais il a réfléchi cette nuit, et probablement peu dormi, nous devons passer les checkpoints (de Namche Bazaar et Lukla) ensemble puisqu'il est mon guide et de toute façon il a appris que beaucoup de gens veulent quitter la vallée, il ne pourra donc pas changer son billet d'avion.
 Pour cette même raison inutile pour nous d'arriver plus tôt à Lukla, nos billets retour sont prévus pour le 1er mai nous ne partirons pas plus tôt. Donc nous allons redescendre tranquillement pour arriver la veille de notre départ théorique et ne pas nous entasser dans la ville-aéroport.
A.B. marche lentement aujourd'hui, il fait chaud et la montée vers Khumjung est plutôt raide. Je le sens très affecté. Avec son fatalisme il me dit que les faits sont comme ça et qu'il faut les accepter. Il a appris à la radio que sur les 90 maisons de son district seules 4 sont encore entières...
Khumjung est une petite ville, de la taille de Namche Bazaar, mais plus étendue car plus à plat.
De nombreux lodges font vivre cette ville mais la plupart sont fermés. Les murs qui délimitent les parcelles de ce village sont en partie effondrés mais personne ne ramasse les pierres. Peut-être attendent ils que les secousses cessent ou la venue de l'expert de l'assurance ;-) Ici aussi beaucoup de maisons sont touchées et les tentes ont essaimé.
La propriétaire de la boulangerie la plus haute du monde où nous nous sommes arrêtés pour nous restaurer n'est pas très motivée pour rentrer nous préparer un en cas. Et son inquiétude ne fait que monter quand deux autres groupes de marcheurs viennent s'attabler. Son mari a une autre affaire près de l'Everest.
Khumjung
Les propriétaires d'auberges ou de restaurants ne sont pas les plus malheureux apparemment, hors saison ils redescendent vers la capitale où ils peuvent avoir une maison. Une secousse est attendue pour midi, 24h après celle qui m'a fait me cacher derrière le rocher. J'explique à A.B. que c'est absurde, on ne peut pas prévoir l'heure des secousses et de toute façon la Terre n'a pas de montre. Les randonneurs passent calmement, dans les rues de cette ville apathique. Les guides échangent quelques blagues histoire de détendre l'atmosphère.
Le chemin de ce côté pour atteindre Namche est très agréable aussi. Du côté de Sangboche le paysage ressemble un peu aux crêtes herbeuses du Luberon. Dans la descente A.B. réussi à avoir son patron au téléphone mais pas de nouvelles claires de chez lui. La guesthouse où nous nous étions arrêtés à l'aller est fermée, elle ne semble pas trop touchée pourtant. Ici aussi pas facile de trouver une auberge ouverte.
On aurait dû s'arrêter à Sangboche regrette A.B. toujours inquiet de mon confort. Mais peu m'importe. Les tentes oranges ou bleues donnent un air de camp de réfugiés, et l'auberge où nous échouons, le Nest, ressemble au QG des grands reporters venus couvrir l'évènement. Mais il s'agit de touristes, américains et indiens pour la plupart, qui, le nez dans leur smartphone donnent des nouvelles à leurs proches.
Je réussis à trouver un endroit d'où envoyer un message. Par Facebook je rassure directement quelques amis. J'apprends que mon frère avait prévenu le quai d'Orsay comme le lui a conseillé Virginie, une amie que bosse dans les assurances voyage. Ils sont barjots! Ils pensaient que j'allais mourir là? Mais je ne connais personne ! :-) Je pensais qu'ils pouvaient s'inquiéter mais pas à ce point.
 Les enfants continuent de jouer dans les rues, les jeunes adultes jouent au billard ou ce jeu avec des palets sur un plateau.
L'hôtel étant bondé je partage ma chambre avec un  cuisinier américain. A.B dormira dans la salle de restaurant avec les autres guides. Je lui prête mon petit duvet pour la nuit. Il fait moins froid ici. Une télé dans l'entrée diffuse les images de la catastrophe. Apparemment c'est plus la campagne autour de Kathmandou qui est touché, peu d'images de la ville.
Je ne l'ai pas précisé mais A.B. mange toujours après moi, je n'ai pas réussi à le convaincre de manger avec moi. C'est même lui qui le porte mon assiette depuis la cuisine généralement. Il mange ensuite dans la cuisine avec les autres guides s'il y en a.

 



Si j'ai bien compris le repas leur est offert par le propriétaire de l'auberge où ils amènent leur(s) client(s), ou alors beaucoup moins cher.
Le lendemain petite journée. Pas d'auberge ouverte à Josarle, nous nous arrêtons un peu plus loin à Monzu un peu avant midi. Je vais faire un tour l'après midi. Au dessus de ce joli village, dans la cour de l'école de jeunes hommes jouent au volley.
Une partie endiablée. Je regarde un moment. Un jeune garçon me demande à voir mes photos du match et de le prendre en photo avec son copain.
Un peu plus haut, au dessus de l'école un temple et une multitude de drapeau couvrent la colline. Je passe un bon moment ici à faire des photos, c'est calme et reposant tous ces drapeaux blancs.
Quand je rentre A.B. a eu des nouvelles par un ami, la communication était mauvaise mais il sait ue ses filles et sa femme sont sécurité avec lui. Il me dit aussi qu'un porteur, dont le groupe est dans une auberge du village, se serait jeté volontairement d'un pont avec sa charge.
Ce soir repas aux chandelles, il n'y a pas eu assez de soleil pour les panneaux solaires de l'auberge. Même le cuisinier prépare le repas à la lampe à pétrole. Une jolie jeune fille est assise seule à sa table, elle y est restée une bonne partie de l'après midi à gratter du papier. Deux chinoises jouent avec la petite fille de la maison.



Le lendemain il fait plutôt bon, A.B. me propose de prendre le petit déjeuner en terrasse, nous discutons un bon moment. Il a bien dormi et est plus détendu, il parle plus. Les relatives bonnes nouvelles qu'il a reçu hier l'ont certainement soulagé. J'ai essayé de lui expliquer ce qui provoque les tremblements de Terre mais ça n'est pas bien concret pour lui.
A Phakding nous croisons Didi, la propriétaire de l'auberge où nous nous étions arrêtés pour notre première étape. Elle attend la venue d'un inspecteur demain pour savoir si elle peut rouvrir. Les conversations avec les gens que nous croisons sont souvent les mêmes. A.B. explique d'où nous venons et où nous allons.
Ces discussions se font en népalais mais A.B. m'a appris à dire hier et demain et je saisi aussi le nom du lieu où nous étions. Pendant qu'il parle avec Didi je comprends qu'il cherche le nom du village de cette nuit et dit donc "Monzu". Une heure plus tard, alors que nous marchons il me dit "tu es malin, tu as compris ce que je cherchais à midi".
pin de l'Himalaya

 Je lui explique comment j'ai compris. J'aimerais pouvoir parler un maximum de langues et j'essaie toujours d'apprendre quelques mots même si avec le temps je les oublie, ça peut servir sur le moment. 

les travaux de reconstructions commencent pour certains



A midi nous mangeons dans un tea house, petit restaurant où les clients habituels sont les porteurs. J'avais demandé à A.B. pourquoi nous ne nous y arrêtions jamais. Il m'avait dit que ça n'était pas pour les touristes. Peut-être a-t-il vu que je ne me formalise pas de ça. C'est là que le mari de la cuisinière nous a expliqué combien il était payé pour porter du matériel au camp de base de l'Everest ou EBC comme on dit dans cette vallée (EBC : Everest Base Camp). 
dans la tea house



Finalement nous marchons presque deux heures après Phakding dont une bonne partie sous la pluie. Nous dormirons à Chepplung à une demi heure de Lukla.
Après la pluie je sors faire un peu des photos, les sommets sortent de derrière les nuages, et ici les champs sont verts et une petite culture vivrière est possible.
 Le soir je joue un peu avec le petit garçon de l'auberge. Il danse en chantant toujours le même refrain
Talamo benjen
Talamo benjen
Ta la pidjidji






Le 30 avril nous arrivons à Lukla, notre vol est prévu pour le lendemain. Mais aujourd'hui c'est le premier jour depuis deux jours que les avions peuvent à nouveau voler à cause des conditions climatiques du coup les gens se sont entassés dans la ville. Ca risque de coincer...












De Lukla à Gokyo...

20 avril 2015 : réveil 4h54, petit dèj frugal. Je laisse une partie de mes affaires dans des sacs en gardiennage dans un local de l'hôtel. Srijan passe me prendre en bas de l'hôtel à 6h05 et nous rejoignons A.B. (Ash Barhadur Gurung) à l'aéroport. Srijan doit partir dans 3-4 jours avec une française pour un trek dans le Langtang, nous nous reverrons au retour.
Nous pesons nos sacs : celui d'A.B. pèse 8,3kg, mon petit sac avec l'appareil photo 7,9kg, et mon gros sac 11,2 kg.
Nous prenons un petit avion de la compagnie buddha air d'une quinzaine de passagers. La piste de Lukla est très courte ( à peine 500m) et en pente (12 degrés) ce qui rend les atterrissages et décollages plutôt spectaculaires.
Nous prenons un petit déjeuner à un hôtel où nous réorganisons nos sacs. A.B. portera mes sacs de couchages (deux petits pour pouvoir gérer les différences de températures) ma doudoune et une partie de mes habits.
premiers pas au fond de la vallée
Je dois avoir 10-12 kg sur le dos. Pour la première étape : Lukla-Phakding il ne nous faut que 3h de marche dans un paysage plutôt alpin si ce n'est le Thamserku, ses pentes blanches abruptes et son sommet à 6608m qui nous domine au fond de la vallée.
Momos, bien souvent au menu



 Il nous faudra juste 3h aujourd'hui pour rejoindre Phakding où nous mangerons à midi. Tous les jours quand nous arrivons à notre village étape A.B. choisit une auberge qu'il connaît ou qu'on lui a conseillé. Ca fait environ 5 ans qu'il n'est pas venu dans cette vallée pourtant très touristique, c'est aussi pour ça qu'il n'est pas venu, trop touristique...

 Le prix des chambres est très bon marché à condition qu'on prenne aussi le repas sur place sinon le prix de la chambre passe de 200 à 1000 roupies (100 roupies environ 1 euro). Le prix des repas, thé ou quoi que ce soit augmente avec l'altitude. Normal il faut payer les porteurs qui portent tout ça sur leur dos. A.B. me dit que les porteurs portent jusqu'à 80-100kg dans leurs paniers dorsaux ! Un homme d'une cinquantaine de kilos passe avec une bouteille de gaz, un sac de riz de 25kg et quelques autres paquets.


 D'après A.B. ils touchent environ 1000 roupies par jour. Dans notre trajet de retour nous avons mangé dans une tea house, un petit "restau" plus fait pour les locaux et le mari de la patronne, porteur à l'occasion nous raconte que pour 60kg portés au camp de base de l'Everest il gagne 2400 roupies par jour et il faut 7 jours pour atteindre le camp de base, soit 16800 rps. 168 euros c'est plutôt un bon salaire pour le pays mais ils y laissent leur santé. Outre le riz et la nourriture de base les porteurs ont aussi des bouteilles de vodka, whisky, des pringles et autres "friandises" occidentales. Je me demande à quoi ça sert tout ça... Pourquoi quand on va dans un pays éloigné du notre, avec une culture différente, une cuisine différente a-t-on besoin d'amener la notre? Pourquoi manger des pringles à 4000m d'altitude??? Est-ce que c'est si compliqué de se passer de ses repères quelques jours ?
Sacs des porteurs en pause et Thamserku au fond
Nous marcherons généralement 5 à 6 heures par jours, la journée la plus raide est la deuxième, nous passons des 2650m de Phakding aux 3500m de Namche Bazaar.

Namche Bazaar
Mais ce jour là je marche plutôt bien, j'ai un bon rythme et dois parfois attendre A.B. qui n'est pas au mieux ce jour là. Il me dit que son repas du midi lui est resté un peu sur l'estomac, mais que je marche bien. Il me l'avait dit à l'aéroport en me voyant arriver "je pense que tu marches bien, ça se voit". Je ne sais pas comment il avait vu ça mais c'est flatteur. Et on verra quand on sera plus haut si je fais le malin. En Bolivie j'avais eu du mal à partir de 3800m (voir mes aventures à Sorata en mai 2008 ;-) ). Comme nous sommes arrivés tôt à Namche Bazaar je monte encore un peu au dessus du village pour avoir une vue et sortir un peu de cette "ville" bourrée de touristes. 
petit saut au dessus de Namche Bazaar vers 3800m


Rue en pente de Namche

C'est la dernière vraie ville avant les petits villages qui nous attendent. Quoiqu'il en soit,  nous restons à Namche Bazaar une journée en faisant une balade autour pour nous accoutumer comme la plupart des gens.

Pendant la balade que nous faisons avec A.B. nous partons dans une vallée à l'opposé. Une très jolie randonnée qui nous mène autour de Thame un petit village. En chemin nous voyons des thars (sortes de gros chamois de l'Himalaya) et des faisans multicolores. 
Ash Barhadur Gurung, mon guide discret

A.B. n'est pas très bavard, et répond à mes questions très simplement. Ah je ne vous ai pas dit mais il parle seulement anglais en plus de sa langue maternelle, enfin peut-être qu'il parle d'autres langues mais je ne le sais pas.


Rhododendron
 A 3600m autour de Namche Bazaar les arbres sont encore bien présents et les rhododendrons en fleurs sont de vrais arbres ici! C'est de Namche que je peux voir l'Everest.
Gypaète barbu
C'est un peu pour ça que je suis au Népal... Il y a quelques années j'ai fait comme certaines personnes en dressant une liste de ce que je voudrais faire dans ma vie et voir le toit du monde en fait partie. 
Tenzing Norgay premier népalais au sommet de l'Everest avec Hillary


Ma première tentative, le premier soir, est décevante. J'étais allé au point de vue mais les nuages qui montent presque tous les soirs bouchaient la vue. Je me suis contenté de la statue de Tenzing Norgay qui trône sur le panorama. Le lendemain à notre retour de balade en début d'après midi le ciel est gris encore. Un couple de jeunes français en tour du monde vient d'arriver dans la même auberge que nous. Ils n'ont pas de guide, ça n'est pas nécessaire, les chemins sont très bien tracés et très fréquentés, mais ils posent quelques questions à A.B. J'ai préféré prendre un guide parce que je suis seul et que je ne sais pas comment je peux réagir en altitude. 
Faisan multicolore

Pendant que nous discutons je vois que le ciel se dégage et je décide de monter au panorama. Je pars assez vite dans les rues pentues mais le souffle me manque un peu, je me calme. Dans le bois juste avant le panorama j'entends et vois un faisan multicolore chanter à quelques mètres. Il est magnifique avec ses reflets métalliques ! 
Ama Dablam

Arrivé au point de vue, la vallée est dégagée sur l'Ama Dablam, le plus proche et donc le plus imposant avec sa face à pic et considéré comme une des plus belles montagnes du monde (titre qu'il se dispute avec l'Alpamayo au Pérou) , le Lohtse (8516m) et... l'Everest! D'ici il fait petit, il pointe sa face reconnaissable au dessus de la vallée. Je suis seul... Les centaines de touristes dans la ville iront jusqu'au camp de base pour la plupart et le verront de plus près mais ils n'ont pas l'air plus curieux que ça de le voir avant. Ou c'est moi qui fait ma groupie? Je reste jusqu'au coucher du soleil, c'est là que je me rends vraiment compte qu'il est le plus haut avec ses 8848m. Il reste le seul éclairé par le soleil. 22 avril 2015 j'ai vu l'Everest!
une caravane de yacks

Le lendemain 8h nous partons au milieu d'une file ininterrompue de marcheurs, porteurs, guides, animaux de bâts... Le chemin, créé par un seul homme à ses débuts, suis la courbe de niveau sur les premiers kilomètres puis se divise en direction de l'Everest et de Gokyo. Nous sommes très peu à aller vers Gokyo, à peine quelques touristes et des porteurs qui transportent nourriture et matériel de construction. On va enfin pouvoir profiter.




La montée vers Mong La à près de 4000m est assez éprouvante. Depuis 3800m mes jambes tirent un peu, je règle mon pas dans celui d'A.B. Il marche lentement et s'arrête souvent. Trop souvent à mon goût, je n'ai pas l'habitude de m'arrêter quand je marche seul mais c'est lui le guide, s'il fait ça c'est qu'il le faut et les porteurs le font aussi. Assez souvent, sur le bord du chemin, on peut trouver des bancs de bois ou de pierre. Des bancs plus hauts que la normale pour pouvoir poser le sac ou le panier qui pèse sur les épaules et se soulager quelques secondes avant de repartir. Certains porteurs équipés de paniers d'osier, "à l'ancienne", ont aussi un bâton court avec un gros pommeau large qui leur permet de poser leur charge quand ils le souhaitent. A Mong La nous mangeons en terrasse avec une vue magnifique. Ce sera notre point culminant aujourd'hui avant de redescendre sur Phortse Tanga où nous dormirons. 
Mong La

Les repas sont souvent un peu les mêmes : momos, galette de pomme de terre surmontée d'un œuf (ça cale bien ça!) dhal bhat ou une soupe avec de la viande de yack. Pour les petits déjeuners j'opte en général pour de la tsampa, sorte de porridge d'orge ou d'avoine. 
Kalo thia : thé noir, la boisson de mes repas
Je me souviens avoir lu un livre "la marche dans le ciel" de Poussin et Teysson deux guides de montagne français qui ont traversé l'Himalaya d'est en ouest en basket en allant de village en village et se nourrissant de tsampa qu'ils ne supportaient plus à la fin :-) Moi j'aime bien, ça donne des forces pour la journée.
A Phortse Tanga je goûte le pain tibétain au petit déjeuner, ça ressemble un peu à notre gibassier (ou pompe à huile)... c'est bon ça ! C'est d'ailleurs ici que j'ai mangé le meilleur, chaque hôte ayant sa recette. Dans ce hameau une petite de 7-8 ans avec sa sœur sur le dos et son frère me demande de les prendre en photo. Une équipe de huit français est dans l'auberge aussi. Ils se retrouvent de temps en temps pour se faire des treks de plusieurs jours tous ensemble. Une bonne ambiance règne entre eux.

J'ai demandé une couverture de plus pour ne pas avoir froid cette nuit. Seule la pièce commune est chauffée avec de la bouse de yak séchée dans un poêle. Bizarrement ça ne sent pas trop. J'ai un peu de mal à m'endormir, j'ai eu un peu mal à la tête. Je m'endors vers minuit et me réveille à 5h30. La fillette partira en même temps que nous le lendemain, toujours avec sa sœur sur le dos et avance loin devant nous dans la montée jusqu'à son père qui retape une maison à une heure du hameau. Nous passons par Dole, joli village à 4200 m sur une sorte de plateau au pied d'une belle montagne. Le midi nous mangeons à Luzla dans une des deux seules auberges alors que des flocons commencent à tomber. Nous attendons une accalmie pour rejoindre Machhermo, où nous arrivons sous les flocons qui saupoudrent les yaks devant le trekkers lodge à 4410m. Dans la grande pièce chauffée on garde quand même la doudoune. Le père de la propriétaire a gravi l'Everest à l'automne 83 comme l'indique le certificat accroché au mur. Trois types, aux gueules de grimpeurs, autrichiens apparemment, dont les tentes sont plantés dehors par leur équipe de porteurs ajoutent à l'ambiance de refuge de montagne. Ambiance de film finlandais plutôt : un des types dit deux mots, un autre répond à peine... C'est calme. Froid et calme. Je vais écouter un peu de musique dans ma chambre. Et reste circonspect devant les wc... Après un bon repas je retourne à ma chambre, il est à peine 19h30, je suis fatigué. Je vais dormir à cette heure là?? Pour le moment le but est de retrouver la chambre dans ce couloir totalement noir et surtout réussir à ouvrir le cadenas avec cette mini clef. Heureusement, à la fac je m'exerçais à vivre en aveugle, tu vois Matthieu que ça sert à quelque chose :-) Extinction des feux 20h30

25 avril 2015, il neige finement, nous décidons de partir malgré tout. Nous en avons pour 3h30-4h de marche jusqu'à Gokyo. Le début monte assez raide, la neige et le vent s'intensifient plus haut. Nous longeons une rivière, celle qui relie les trois lacs de Gokyo. Nous serons arrivés au troisième. Cette neige n'est pas vraiment de saison me dit A.B. mais je suis assez content de connaître ces conditions. Le sentier creusé dans la neige est parfois à peine large comme nos pieds et profond de 70cm. Le mal de tête me reprend, je me concentre sur ma respiration. Parfois, quand nous nous éloignons de la rivière c'est le calme complet, je n'entends que le bruit des grains de neige sur la capuche de ma veste, ma respiration et le bruit des bâtons de marche... Nous croisons une colonne de yacks.
Vers 11h30 j'ai un coup de barre. Pour la première fois depuis 5 jours je demande à A.B. de nous arrêter pour manger une barre de céréales et boire un coup. Je vais faire pipi. Mes jambes flagellent. C'est une sensation étrange, pas comme une hypoglycémie, ça ça m'est déjà arrivé. Ca me reprend, en fait non, c'est le sol qui bouge! La Terre tremble et gronde! "un tremblement de Terre" me dit A.B. "ne bouge pas!". Deux pierres, grosses comme des ballons de foot, dévalent la pente à quelques mètres et on entend comme une avalanche dans la vallée derrière nous. 11h41 un tremblement de Terre de magnitude 7,9 sur l'échelle de Richter vient de frapper le Népal à quelques dizaines de kilomètres d'ici. Nous n'avons connu qu'une version gentille, pas de quoi avoir vraiment peur mais j'avais toujours eu envie de ressentir ça. Moi bizarre?
A.B. me redonne la consigne : "si ça se reproduit place toi dans un endroit dégagé et ne bouge pas. Regarde autour de toi si tu vois arriver des pierres".
Nous arrivons au lac de Gokyo, sa surface est complètement gelée et tout le tour craquelé. A Gokyo seules deux maisons ont été touchées, les murs de pierre se sont écroulés mais pas de victime.
Quand nous arrivons à l'auberge les occupants en sortent en courant. Une réplique vient de leur faire peur. Elle devait être faible, nous ne l'avons pas sentie au sol. Plusieurs répliques pendant que nous mangeons à l'étage de l'auberge, le sol en bois doit amplifier la chose. Je ne suis pas trop inquiet, j'ai appris que les répliques sont moins fortes que le séisme originel mais je suis A.B à l'extérieur.
Son téléphone ne fonctionne plus, il ne peut pas avoir de nouvelles de sa famille. Nous apprenons par le poste de secours qui a un téléphone satellite que le séisme a eu lieu dans la région de Kathmandou même. A un moment le bruit court que 100 000 personnes sont mortes là-bas. Quand on connaît la ville ça ne serait pas étonnant. Je commence à prendre conscience de l'ampleur de la chose. A.B. qui ne parlait déjà pas beaucoup a le visage fermé. Les trois autrichiens aux mines de grimpeurs aguerris ont eu peur et décident de rebrousser chemin dès aujourd'hui. Dans le village je retrouve le groupe de français, je les accompagne sur les moraines d'un glacier pour voir le glacier de l'autre côté. Ils trouvent ce petit glacier sublime... Je n'ose pas leur dire que ceux d'Islande les feraient s'émerveiller autrement. Quoiqu'il en soit le gps de l'un d'eux annonce 4900 m. Je suis plus haut que le mont Blanc et suis entouré de montagne la tête dans les nuages. Le Gokyo Ri à plus de 5300m où nous sommes censés monter demain a lui aussi mis son chapeau de nuages. Vu mon état de santé je ne sais pas si je pourrai y arriver demain. Plusieurs répliques émaillent la soirée. Comme souvent repas à 18h30, c'est tôt pour moi mais la faim est là. Les clients se sont réunis autour du poêle. 20h30 je m'endors assez vite dans cette chambre très froide. Je dors habillé pour le froid et en cas d'évacuation.
23h30 une réplique me réveille, j'entends courir dans le couloir en bois et vois une lumière à l'extérieur mais je ne bouge pas. Les murs de l'habitations sont en bois (contreplaqué) qui supporte plutôt bien les ondes. Je pense à tous les gens qui devaient se trouver sur les pentes des montagnes à ce moment là, aux ponts suspendus, aux villages traversés. Je vais proposer à A.B de redescendre dès demain. Il faut qu'il retourne auprès des siens...